Les space opera du dernier demi-siècle ont forgé une certaine vision de l'humanité dans ses relations avec l'univers qui n'a rien perdu de son éclat mais, dans le contexte actuel de révolution écologique, produit des effets d'optique assez déplaisants. Ces fictions populaires, de Star Trek à Star Wars, de Fondation aux Villes Nomades, sont nourries de concepts importés de la science comme l'antimatière ou les exoplanètes. Les robots d'Asimov ont un cerveau à positrons, l'anti-particule de l'électron, sans doute parce qu'un cerveau électronique eut été trop trivial. L'antimatière compose le carburant de l'Enterprise, le vaisseau de Star Trek, ainsi que la charge explosive de ses torpilles à photons. L'antimatière a été prédite par Dirac en 1928 et observée peu après. Une antiparticule a toutes les caractéristiques de sa symétrique sauf la charge électrique, qui est inversée. Lorsque les deux interagissent, c'est pour s'annihiler mutuellement. Toute la masse est convertie en énergie. Un demi-gramme d'antimatière lâché dans la nature (faite de matière) produirait 0,001 (kg) x c² (m/s), soit environ 90 000 milliards de Joules soit l'énergie contenue dans 2,3 millions de litres de pétrole ou encore 1,5 fois la bombe d'Hiroshima. À l'échelle de la particule, l'antimatière est le meilleur réservoir d'énergie possible. Aujourd'hui, on sait en fabriquer dans les accélérateurs de particules, comme le LHC du CERN, en Suisse.
Les exoplanètes sont des planètes appartenant à des systèmes stellaires différents du nôtre. Dans Star Wars, saga où d'ailleurs, notre système n'apparaît pas, elles servent de toile de fond colorées aux scènes, comme les décors escamotables des opérettes. Pandora, la belle planète bleue de Avatar, est un gros satellite d'une géante gazeuse qui gravite dans la zone habitable autour de Alpha du Centaure. Cette étoile existe. Elle ressemble beaucoup au Soleil et s'en trouve à 4 années-lumière ce qui en fait la deuxième étoile la plus proche. Posées comme hypothèse depuis Giordano Bruno, les exoplanètes ont quitté le domaine de la spéculation en 1995 et depuis, les astronomes en ont observé - détecté serait un terme plus juste - presque cinq cents. Récemment, on a annoncé la découverte d'une exoplanète un peu plus grosse que la Terre dans la zone habitable (là où la température n'exclut pas l'eau liquide) autour de l'étoile Gliese 581 à 20 années-lumières d'ici. Vingt années-lumières, puisque le diamètre de la galaxie est de 100000, c'est la porte à côté, non ?
C'est là où le mélange des genres, la hard science mixée à la fantasy, donne des résultats un peu dérangeants. Mélangez la belle exoplanète pas trop froide ni trop chaude avec quelques centaines de tonnes de positrons, placez les astronautes et leur biosphère portative dans la centrifugeuse, tournez pendant quelques siècles. Mettez le tout à chauffer sur un média thermostat 12, servez avec un coulis de forum ... Cette alien world cuisine vire parfois à la pantalonnade, quand on lit des commentaires dénués d'humour du genre Earth 2, practically next door !. Et même lorsque c'est le New-York Times qui s'y colle, avec une explication claire et rigoureuse des distances en jeu, on lit pourtant le commentaire suivant : On pourrait y aller, un jour. ( Là)
C'est bien de rêver. À condition de ne pas tout confondre. Alors, pour le réel, on sort la calculette. Alpha du Centaure, l'étoile la plus proche, autour de laquelle nous n'avons encore détecté aucune planète, est à 40 000 000 000 000 km. La porte à côté on vous avait dit. À la vitesse de la sonde la plus rapide, environ 20 km/s, il faudrait plus de 60000 ans. La vitesse d'une fusée dépend de deux choses, la vitesse de ce qu'elle éjecte derrière elle et le rapport entre la masse de l'engin avant et après la phase de propulsion. L'idéal est d'avoir une source d'énergie très concentrée et une masse à éjecter très importante par rapport à la charge utile du vaisseau. Cet idéal est réalisé par les avions, avec le kérosène comme énergie et les énormes masses d'air qui traversent les réacteurs au cours du voyage. Les avions eux mêmes sont limités par le principe de Tsiolkovsky énoncé plus haut, en ce sens qu'une partie du kérosène est brûlée simplement pour emporter le kérosène, et ce d'autant plus que dure le vol. Pour voyager dans l'espace, il faut aussi emporter la masse à éjecter et celle-ci s'oppose à l'accélération.
L'antimatière pourrait-elle simplifier le problème ? Quelques grammes sont un parfait concentré d'energie mais constituent une piètre masse d'éjection. Il faudrait se contenter d'accélérations très faibles et donc très longues. Sur le site de la NASA, des pages sont consacrées à des moteurs mixtes, avec l'AM comme source de chaleur et un gaz comme propulsif. On retombe sur l'os de la masse à emporter. Ces vaisseaux sont présentés par l'agence comme substitut aux fusées chimiques pour aller vers Mars en 45 jours au lieu de six mois. Pourraient-ils servir à des voyages interstellaires ?
Pour franchir 4 années-lumières en peu de temps, il faut s'approcher de la vitesse de la lumière. Les hadrons du LHC s'en approchent vraiment mais ce sont des particules extrèmement légères et néanmoins, l'énergie injectée dans la machine du CERN pourrait propulser un porte-avion à 20 km/h. Du point de vue du voyageur, tant qu'il y a de l'énergie et de l'accélération, la durée du voyage raccourcit. Du point de vue de la Terre, le vaisseau s'approche asymptotiquement de la limite que constitue la vitesse de la lumière. À 92% de celle-ci, sans compter le temps nécessaire à l'accélération (ni à la décélération), le voyage durerait 15 mois pour les terriens, presque 6 pour les éventuels habitants d'un tel vaisseau. On pourrait vaincre le temps. Mais le problème, c'est l'énergie. Un véhicule de 1000 tonnes aurait à cette vitesse une énergie cinétique de 1,394 10²⁴ Joules. Cette énergie est contenue dans 7750 tonnes d'antimatière (et autant de matière). Si l'antimatière ne pesait rien, c'est la quantité de carburant qu'il aurait fallu emporter. Mais l'AM pèse autant que sa soeur symétrique. Toujours à cause du principe de Tsiolkovsky, la nécessité d'accélérer le carburant lui-même, il en faudrait beaucoup plus. Pire, l'antimatière doit être stockée sans aucun contact avec la matière, sans quoi elle libère son énergie de façon incontrôlée. Bref, elle fait tout pêter. Anneaux magnétiques, lasers, condensats de Bose-Enstein, les rêveurs ont envisagé plusieurs solutions très hypothétiques et qui ajouteraient nécessairement beaucoup de masse à emporter. Mais imaginons que l'énergie soit communiquée de l'extérieur, par un laser poussant une voile photonique. Là, on est débarassé de Tsiolkovsky. Alors, combien ça fait 1,394 10²⁴ Joules ? En restant follement optimiste, avec un rendement de 50 % de l'énergie incidente en énergie utilisable, avec un panneau solaire du diamètre de la Terre dans l'espace au niveau de son orbite, il faudrait en gros 1500 ans. Ah, et si on veut freiner le vaisseau à l'arrivée, on multiplie par deux, ça va sans dire.
Et si on allait bien moins vite, un voyage de plusieurs siècles, avec un vaisseau genre arche de Noé ? On a tous vu ces jolis dessins de petites biosphères enfermées dans un tore en rotation pour simuler une gravité, avec des arbres, des oiseaux et des lacs pour garder le moral. À l'énergie très considérable pour accélérer tout ce petit monde (un million de tonnes, dix millions ?), il faudrait ajouter celle pour faire vivre les organismes vivants. Même en recyclant l'eau et les minéraux à 100%, il faut de l'énergie et d'autant plus que le vaisseau est lent. Pour les 10000 personnes du voyage (beaucoup moins et on aurait un manque de diversité et une société ennuyeuse), à 2000 kcal par jour pendant 4000 ans (à 300 km/s de moyenne vers Alpha du Centaure), il faudrait 12,264 10¹³ Joules (et là encore en négligeant toutes les pertes), soit l'énergie contenue dans 1,3 grammes d'antimatière ! On touche au but alors ? Minute. Sur le site du CERN, on indique avoir fabriqué quelques milliards d'atomes d'anti-hydrogène ... et qu'il en faudrait 10¹⁸ fois plus (un milliard de milliards de fois plus, quoi !) pour gonfler un ballon d'enfant.
Les grecs ne croyaient pas vraiment à leurs mythes (Paul Veynes: Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l'imagination constituante, Seuil, 1983). Nous aussi, nous devrions garder les nôtres à la juste distance. D'ailleurs, pour le rêve, on peut toujours relire James Blish, Aux Hommes, les étoiles. Et aussi Dylan Thomas.
Et la mort n'aura plus d'empire
L'homme mort nu ne fera plus qu'un
Avec l'homme dans le vent d'ouest sous la lune
Une fois que leurs os auront été lavés et blanchis
Et que ces os lavés et blanchis auront disparu
Ils auront des étoiles au coude et au pied...
Précision: Les calculs faits sur un coin de table sont certainement éloignés de la réalité d'un ou deux ordres de grandeur. Mais pas de dix-huit. Or, c'est bien cette dernière distance qui sépare nos mythes modernes de la réalité physique.
RépondreSupprimerMoi ce que je retiens, c'est qu'il faut 3000 ans pour atteindre la prochaine étoile sans exoplanète. C'est pas encore ça. Multiplié par 150 pour atteindre Kepler 22, on n'est pas rendu!
RépondreSupprimerAucune planète n'a été observée dans le système Alpha du Centaure. Mais ça ne signifie pas qu'il n'y en a pas. Le problème pour y aller et s'y arrêter est plus ardu encore que ce que j'écrivais. D'après (http://math.ucr.edu/home/baez/physics/Relativity/SR/rocket.html) pour chaque kilo de charge utile, il faut, pour aller sur Alpha Centaure, 10 kg d'antimatière sans arrêt et 38 kg si on s'arrête. La faute à Tsiolkowski+Einstein. Les étoiles, c'est au diable !
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